Au sujet de la fin de la transmission verticale du savoir et des classes inversées
Voici un article sur http://www.philomag.com/les-livres/lessai-du-mois/transmettre-apprendre-8987
n°77 20/02/2014
voir aussi le livre de Michel Serres "Petite Poussette" 2011( critique dans Libération culture : http://www.liberation.fr/culture/2011/09/03/petite-poucette-la-generation-mutante_758710 )
On voudrait changer son
rythme, y donner des cours de morale, y organiser de la prévention, y
faire s’épanouir les enfants tout en leur apprenant à lire, écrire et
compter… L’école aujourd’hui ne sait plus où donner de la
tête ! Sa mission se perd dans le brouillard des multiples réformes et
débats dont elle fait l’objet. Afin d’y voir plus clair, Marie-Claude
Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, trois penseurs de
l’éducation, proposent de revenir aux fondamentaux que sont la
transmission et l’apprentissage pour mieux analyser leur articulation.
Une démarche collective pour un objet qui ne l’est pas moins : la
construction des savoirs.
« Nous sommes définitivement passés d’une société de transmission à une société de la connaissance », diagnostiquent les auteurs. Ce qui signifie, scolairement parlant, que l’on est passé de « l’impératif de transmettre » à un « modèle centré sur l’acte d’apprendre ». Depuis les années 1970, fini les élèves docilement soumis aux maîtres, place aux « apprenants »,
êtres actifs capables de construire seuls et selon leur intérêt leurs
propres savoirs. Mai 68 et son rêve de table rase sont passés par là,
l’école n’y échappe pas. Les modèles d’autorité incarnés par la
génération précédente, le passé, l’exemplarité des grands auteurs,
volent en éclats pour mieux dévoiler l’autonomie et la liberté de
l’enfant. À bas la transmission verticale, vive l’apprentissage.
L’ennui, c’est qu’il ne suffit pas de déclarer la transmission morte pour la faire effectivement disparaître. Quand l’école y renonce, elle se réfugie d’autant plus dans la sphère privée où nul souci égalitaire n’a lieu d’être. Cette « éducation implicite » qui se joue d’abord en famille est le point aveugle hypocritement ignoré des tenants de l’apprentissage. Dans Les Héritiers, coécrit avec Jean-Claude Passeron, Pierre Bourdieu, sociologue « soixante-huitard », l’avait pourtant mise en lumière dès 1964, soulignent les auteurs. Habitudes du corps et de l’esprit, valeurs morales, attitude face à la vie, maîtrise du langage… autant de « transmissions » que le paradigme de l’apprenant ne prend plus en charge. On aurait voulu ouvrir un boulevard aux inégalités que l’on ne s’y serait pas mieux pris, pourrait-on résumer.
Entre un modèle ou l’autre, il ne s’agit pas de choisir. « L’unilatéralisme ancien ignorait le comment, l’unilatéralisme nouveau ignore le quoi. […] Nous sommes à la recherche d’un équilibre que l’on devine difficile », professent Blais, Gauchet et Ottavi. Là où les philosophies traditionnelles de la connaissance, de Descartes à Kant, ne nous sont d’aucun secours, pourquoi ne pas tenter une « phénoménologie de l’apprendre » ? Elle nous montrera que lire, écrire et compter ne sont pas des « compétences purement mécaniques ou fonctionnelles », comme on a tendance à les y réduire, mais un « labyrinthe de significations » qu’il n’est pas assez d’une vie pour entièrement défricher.
La disponibilité sans fin et sans fond d’Internet n’est pas pour rassurer ni encourager. Les auteurs y voient un miroir aux alouettes, dans lequel s’est perdue la « Petite Poucette » chère au philosophe Michel Serres, dont la dimension angélique est dénoncée. Pas de manichéisme toutefois. Internet et réseaux sociaux constituent simplement un nouveau défi pour des professeurs dont la mission sera d’« enseigner à éliminer, trier, organiser, hiérarchiser, faire des liens, distinguer le vrai du faux et du “même pas faux”, veiller à la fiabilité des informations ». On ne leur demande plus de détenir la vérité mais d’en montrer le chemin sans en cacher les aspérités. Des Socrate 2.0, en somme.
« Nous sommes définitivement passés d’une société de transmission à une société de la connaissance »
L’ennui, c’est qu’il ne suffit pas de déclarer la transmission morte pour la faire effectivement disparaître. Quand l’école y renonce, elle se réfugie d’autant plus dans la sphère privée où nul souci égalitaire n’a lieu d’être. Cette « éducation implicite » qui se joue d’abord en famille est le point aveugle hypocritement ignoré des tenants de l’apprentissage. Dans Les Héritiers, coécrit avec Jean-Claude Passeron, Pierre Bourdieu, sociologue « soixante-huitard », l’avait pourtant mise en lumière dès 1964, soulignent les auteurs. Habitudes du corps et de l’esprit, valeurs morales, attitude face à la vie, maîtrise du langage… autant de « transmissions » que le paradigme de l’apprenant ne prend plus en charge. On aurait voulu ouvrir un boulevard aux inégalités que l’on ne s’y serait pas mieux pris, pourrait-on résumer.
Entre un modèle ou l’autre, il ne s’agit pas de choisir. « L’unilatéralisme ancien ignorait le comment, l’unilatéralisme nouveau ignore le quoi. […] Nous sommes à la recherche d’un équilibre que l’on devine difficile », professent Blais, Gauchet et Ottavi. Là où les philosophies traditionnelles de la connaissance, de Descartes à Kant, ne nous sont d’aucun secours, pourquoi ne pas tenter une « phénoménologie de l’apprendre » ? Elle nous montrera que lire, écrire et compter ne sont pas des « compétences purement mécaniques ou fonctionnelles », comme on a tendance à les y réduire, mais un « labyrinthe de significations » qu’il n’est pas assez d’une vie pour entièrement défricher.
La disponibilité sans fin et sans fond d’Internet n’est pas pour rassurer ni encourager. Les auteurs y voient un miroir aux alouettes, dans lequel s’est perdue la « Petite Poucette » chère au philosophe Michel Serres, dont la dimension angélique est dénoncée. Pas de manichéisme toutefois. Internet et réseaux sociaux constituent simplement un nouveau défi pour des professeurs dont la mission sera d’« enseigner à éliminer, trier, organiser, hiérarchiser, faire des liens, distinguer le vrai du faux et du “même pas faux”, veiller à la fiabilité des informations ». On ne leur demande plus de détenir la vérité mais d’en montrer le chemin sans en cacher les aspérités. Des Socrate 2.0, en somme.
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